Le bonheur au travail #1

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Ce sujet est d’actualité. A la fois parce que beaucoup d’entreprises sont confrontées à des accidents liés à un déficit de prise en compte des risques sociaux (RPS) ou parce que des réglementations et la pression du marché poussent les entreprises à mener des démarches de Responsabilité Sociétale (RSE).

La petite voix idéaliste qui est en moi me susurre à l’oreille : « Ce serait bien s’il ne fallait pas attendre l’accident ou l’injonction pour agir ». Ne serait-ce pas fondamental pour une entreprise de se préoccuper du bien-être de ses employés ? Et il ne s’agit pas d’angélisme : des études ont mis en évidence qu’il y a une corrélation positive entre le niveau de prise en compte par les entreprises de la satisfaction de leur personnel et leur solidité économique à long terme.

Mais cette notion de satisfaction ou de bonheur au travail n’est pas si simple que cela à appréhender. Pour illustrer cela, laissez-moi commencer par deux anecdotes personnelles :

Septembre 1967. Rentrée des classes de maternelle. Le midi, ma mère me récupère en pleurs. J’avais été réprimandé par la maitresse, car lorsqu’elle avait demandé à chaque enfant de chanter une chanson, j’avais osé entonner à tue-tête la chanson d’Henri Salvador : « Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver... Les prisonniers du boulot, font pas de vieux os »...

Décembre 1999, alors que je suis dans la dernière ligne droite avant la publication d’un livre sur les projets d’entreprise, mon éditeur me fait remarquer que j’ai employé trop de fois le mot « plaisir » dans mes écrits et qu’il faut y remédier...

Bon ! La relation entre bonheur et travail me semble bien compliquée ! Est-ce lié au fait que nous sommes en France, et que les français détiennent — d’après les enquêtes — la palme mondiale du pessimiste vis-à-vis de leur avenir économique !

Allons faire un tour de l’autre côté de l’atlantique. Un ami, qui revient d’un colloque sur le bonheur au travail, me parle d’une société américaine implantée en Europe, qui prend en charge le bonheur — ou plutôt la santé — de ses employés. Comment ? En ayant payé à chacun un podomètre qui mesure la distance parcourue chaque jour. Cette distance est remontée au manager automatiquement ce qui lui permet de stimuler ceux qui ne marchent pas suffisamment et qui de ce fait ne prennent pas suffisamment soin de leur santé...

Je ne sais ce que vous en pensez, mais cela ne correspond pas à ma perception du bonheur au travail. Et cela ne semble pas du tout être en adéquation avec notre culture française...

Justement, si l’on parle de notre culture nationale, contient-elle les germes qui font de nous les recordmen du business-pessimisme ? Pour examiner cette question, je vais me permettre un petit détour par le monde de la philosophie...

Nous sommes tous les enfants de Descartes, et son « je pense, donc je suis » a fait bien des ravages. Un peu comme si nous nous résumions à nos pensées, à notre mental, à notre intellect. La société moderne et nos modes de travail, exacerbent cette croyance Posons- nous cette question : lorsque nous sommes au travail, quelle part de notre temps ou quel crédit accordons-nous à autre chose qu’à notre cerveau, à savoir à notre cœur — nos émotions — ou à notre corps ? Descartes, comme beaucoup de ses contemporains qui ont érigé la science comme philosophie, ont fait de nous des êtres séparés...


Conjugaisons

Je fais l’hypothèse qu’en inversant cette tendance au compartimentage, nous avons une clé pour faire croître notre bonheur au travail : refuser ce constat de séparation et développer les passerelles qui conjuguent ce qui semble séparé. Comme nous le rappelait récemment le pianiste humaniste Marc Vella: «Rien ne s’oppose, tout s’épouse». Et cela est très « tendance ». Si nous regardons les modes de fonctionnement des jeunes (baptisés « Génération Y »), leur capacité à tout mélanger — le sérieux et le plaisir, le pro et le perso... — à de quoi nous inspirer.

Concrètement, il s’agit de remplacer les «OU» par des «ET». Examinons plusieurs applications potentielles de ce principe :

Regardons la combinaison pensées-émotions. Tout les chercheurs et écrivains actuels font ressortir l’intérêt de cette combinaison et l’utilité de savoir reconnaître et utiliser ses émotions dans le monde professionnel. Pour illustrer, repensez aux grandes décisions que vous avez prises au travail. Je pense que la majorité d’entre elles n’était pas « rationnelle » et que l’écoute de vos ressentis y a contribué. Ou pensez aux sentiments négatifs que vous avez pu ressentir à certains moments de votre vie professionnelle et qui vous ont permis d’agir ou de simplement vous exprimer afin de faire avancer les choses, pour le bien de tous.

Et que pensez-vous de la prise en compte de son corps pour détecter les méfaits du stress, avant qu’il ne soit trop tard ? Ou de l’utiliser pour agir concrètement, physiquement, pour mettre la main à la pâte, pour aller sur le terrain et construire de ses propres mains ? Là aussi, repensez à la satisfaction que vous avez pu tirer à plonger dans l’action concrète et manuelle, même si cela n’a peut-être pas été évident pour vous au départ de sortir de votre bureau... Il ne s’agit pas de faire à la place, tout le temps, mais plutôt de temps à autre de faire avec. D’aller au contact, de serrer les mains, d’avoir des gestes chaleureux. Pensez également à saisir toutes les occasions de matérialiser les idées en prototypant et en vous confrontant au réel, au concret. Cela vous provoquera de la satisfaction et développera le lien avec votre entourage professionnel.

Après ces réconciliations internes, intéressons-nous aux conjugaisons externes. Qu’est-ce que cela change de considérer les Hommes dans l’entreprise, à la fois comme des ressources (humaines!) ET comme des êtres en développement devant/pouvant tirer satisfaction de leurs actes professionnels ? De considérez que les liens sont forts entre nos vies professionnelle ET personnelle et que de prendre cela en compte peut générer un co- enrichissement? Que les sources de satisfaction professionnelle ne sont que pour une faible part liées à la rémunération — dans une certaine mesure, bien sûr — ET qu’il convient de s’intéresser à d’autres gisements de bonheur ?...


Olivier Broni