Anatomie de la gouvernance d’entreprise

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Le corps humain fonctionne grâce à plusieurs grands systèmes (respiratoire, digestif, reproducteur, nerveux,...) qui ont chacun leur mode de pilotage et de régulation spécifique. Chacun de ces systèmes peut constituer, par analogie, un modèle pour la gouvernance de l’entreprise. C’est ce que nous vous proposons de développer ici.

Prenons par exemple le système nerveux. N’est-il pas celui qui a le plus inspiré les entreprises ? On se le représente plutôt centralisé, avec un lieu unique de décisions rationnelles se situant au sommet du corps. Ce cerveau collecte les informations provenant de tous les capteurs, les filtre en fonction de ses propres croyances, et envoie en retour des ordres pour la mise en mouvement. Est-ce que cela vous rappelle quelque chose dans votre environnement professionnel ?

Malheureusement, les dirigeants retiennent souvent uniquement cet aspect caricatural et simpliste du système nerveux. Les neurosciences nous apprennent aujourd’hui que la nature a doté notre organisme de systèmes de rétroaction locaux pour plus de réactivité. Ou que des neurones se trouvent disséminés dans d’autres parties du corps comme dans l’intestin — qui constitue un deuxième cerveau exerçant son rôle de façon moins visible, plus « tripale », jouant un rôle fondamental dans la régulation des émotions. De quoi infléchir la vision simplifiée du système nerveux. Le cerveau n’étant plus le seul et unique « centre de pilotage » de nos pensées, ressentis et comportements !

Un patron au cœur

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Intéressons-nous maintenant à un autre modèle : le système sanguin. Cette fois-ci l’organe central se trouve au cœur de l’organisme, de manière à pouvoir irriguer de façon équitable toutes les parties du corps. Son action se diffuse jusqu’à chacune des cellules grâce à des vaisseaux capillaires. Il gère l’ensemble des flux avec autant d’informations montantes que descendantes. Ce qu’il impulse, c’est de l’énergie vitale et il se met au service de la régulation des flux pour purification et recyclage, en forte relation avec d’autres systèmes. Il est en charge de véhiculer les cellules, globules, anticorps nécessaires à la réaction vis-à-vis des agressions externes.

Cela évoque un patron — entendu ici au sens étymologique : « patronus » signifiant « modèle » — au cœur de l’entreprise, avec toute la symbolique de chaleur, de relation et d’émotion associée. Une certaine dose de protectionnisme pour assurer le bien-être et la sécurité de tous. On l’imagine profondément Humain, en quête d’une certaine harmonie, de clarté et de pureté. Il n’a pas peur des confits et s’implique pour les apaiser. Il gère l’équilibre entre le flux et le reflux.

Il cherche à clarifier ses convictions, c’est-à-dire sentir profondément ce qui est important pour lui concernant le subtil l’équilibre entre résultats économiques et développement des hommes. L’Humanité de l’entreprise est-elle pour moi une finalité ou un moyen ? Quelles sont les valeurs humaines importantes pour moi ? De quelle façon contribuent-elle ou se développent-elle au détriment du business ? Autant de questions à clarifier, en percevant le pouvoir, les impacts sur les autres et les limites de ses croyances. Ce travail identitaire conduit le patron a mieux percevoir qui il est et ce qui lui importe.

Le cœur est un organe puissant, dont le rayonnement va jusqu’à chacune des parcelles du corps, inlassablement, au rythme des battements.

Si l’on transpose, cela signifie que le patron doit prendre le risque d’affirmer ses convictions, les répéter, faire de la pédagogie avec bienveillance à chaque instant... Il devient ainsi un « modèle ». Quitte à formuler des règles sur le registre de la relation pour que le cadre soit clair pour tous. Cela nécessite énergie, courage, ténacité dans la durée.

Contrairement à ce que l’on croit, le rythme cardiaque n’est pas si régulier que cela. Il a été démontré que, sur une base qui peut sembler stable, il est indispensable qu’il y ait des variations chaotiques pour le bon fonctionnement de l’organisme. Le désordre est nécessaire à la vie. Le cœur réussit à combiner régularité et chaos, comme un bon orchestre de Jazz. Du chaos nait l’harmonie et le mouvement fluide...

Si nous revenons à notre « patron au cœur » il ne s’agit pas pour lui de se raidir mais, tout en étant centré sur ce qui lui importe et en le communiquant aux autres, d’ouvrir grand ses capteurs, de cultiver son ouverture... Bref d’accepter que sa vision du monde ne soit pas celle de chacun de ceux qui l’entourent, d’accepter les différences de points de vue, de comportements, de personnalités, de rythmes avec une grande bienveillance, de ne pas chercher à convaincre à tout prix. Ferme sur les fondamentaux mais encourageant l’initiative sur le mode de mise en œuvre.

En continuant l’analyse de notre métaphore cardiaque, on peut émettre des réserves quand à l’aspect centralisé. L’organisme humain ne possède qu’un seul cœur (alors que la pieuvre en possède 3 !). Et le cœur aussi puissant soit-il peut s’épuiser dans un organisme trop grand. C’est ce qui se produit souvent chez les personnes beaucoup plus grande ou grosse que la normale.

Pour un patron cela nécessite de ne pas tout miser sur sa force, son énergie, son élan, mais aussi savoir s’adresser à ses zones de fragilité ou de vulnérabilité et de pouvoir en faire part aux bonnes instances au bon moment. Il ne s’agit pas d’être devant, convaincu et seul, mais de s’encorder en équipe en échangeant sur le registre de l’« humanité » de chacun.


Les autres systèmes

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Après s’être intéressé au système nerveux et surtout au système sanguin, on pourrait se demander à quoi ressemblerait une gouvernance inspirée du système digestif, respiratoire, urinaire, reproducteur, lymphatique... Je vous laisse imaginer et poursuivre ainsi la réflexion que j’ai entamée.

Mais n’oublions en aucun cas que chacun de ces systèmes à besoin des autres et donc que des modes de gouvernances multiples peuvent (et doivent) s’enchevêtrer pour le bien de l’organisme. Ne s’inspirer que d’un seul modèle présente des risques, et à tout pouvoir d’un type il est nécessaire d’associer un pouvoir d’un autre type.